Jeudi 27 février 2025
L’affaire Bétharram, du nom de cet établissement privé des Pyrénées-Atlantiques sous contrat aux méthodes pédagogiques brutales ayant donné lieu à de nombreuses dérives de harcèlements moral et sexuel, incarne les dysfonctionnements profonds d’un système financé par l’État mais largement soustrait à son contrôle. Difficile pour François Bayrou, qui y a lui-même scolarisé ses enfants, de mettre sous le boisseau tous ces témoignages poignants d’ancien.nes élèves qui y ont vécu sous le règne de la terreur institutionnelle.
Malgré les alertes répétées sur des pratiques opaques au sein de l’enseignement privé sous contrat, dont la plus récente, concernant Stanislas, date du passage d’Amélie Oudéa-Castéra, l’Éducation nationale continue de fermer les yeux, laissant des établissements imposer leurs propres règles en toute impunité.
Face à ces trop nombreuses situations dramatiques, les rectorats d’académie sont restés et restent trop souvent sourds. Face à ce nouveau scandale, le Secrétariat Général de l’Éducation Catholique et son si disert et prolixe secrétaire général Philippe Delorme explique dans une interview « je n’ai eu vent d’aucun contrôle réalisé par l’enseignement catholique à Bétharram. J’ai fait faire des recherches, on n’a rien rien rien. »
Comment en est-on arrivés là ?
« L’enseignement privé, c’est l’expression d’une liberté essentielle » déclarait Michel Debré, alors 1er ministre en 1959, date de l’élaboration de la fameuse loi Debré par laquelle l’histoire moderne de l’enseignement privé sous contrat en France débute en posant les bases d’un héritage problématique. En effet, le statut des établissements privés sous contrat découle de la loi Debré de 1959, qui a instauré le principe du « caractère propre » des établissements. Cette notion floue laisse libre cours à toutes les interprétations et permet aux établissements confessionnels de bénéficier de financements publics tout en conservant une grande marge de manœuvre dans l’application des règles de la fonction publique. Plutôt que de corriger ces dérives, la loi Guermeur est venue renforcer l’autonomie des chefs d’établissement, leur permettant de gérer les carrières et les mutations des enseignants en dehors des circuits classiques de l’Éducation nationale (cf. CAE ET CIDE-commissions parallèles aux CCMA et CCMD-CCMI) – dans ces commissions, les représentant.es des maitres sont présent.es avec les chefs d’établissement, alors que ces derniers ne sont pas élus. En consacrant le double encadrement des enseignants (État et Église), cette loi a instauré une gestion parallèle et opaque qui échappe largement aux contrôles de l’administration.
CAE= Commission Académique de l’Emploi (2nd degré)
CIDE= commission interdépartementale de l’Emploi (1er degré)
CCMA= commission consultative mixte Académique (2nd degré)
CCMD= commission consultative mixte Départementale (1er degré)
CCMI= commission consultative mixte Interdépartementale (1er degré)
Où en est-on aujourd’hui ?
L’Administration n’a ni les moyens ni la volonté d’exercer un contrôle réel sur ces établissements. Les 140 000 enseignant.es du privé sous contrat sont des agent.es publics non titulaires (en contrat définitif), mais leur carrière est gérée hors des circuits normaux de la fonction publique. Ils/elles ne bénéficient pas, à l’instar de leurs collègues du public, des mêmes droits en matière de santé au travail. En effet, la présence de CHSCT dans les rectorats devrait également bénéficier, par exemple, aux maîtres de droit public sous contrat. Mais par manque de moyens, les maitres se débrouillent dans leur établissement grâce à l’éventuelle présence d’un CSE et/ou l’accompagnement de syndicats laïcs et indépendants comme le SUNDEP Solidaires.
CHSCT = Comité d’Hygiène, de Sécurité et des Conditions de Travail
CSE= Comité Social et économique -présent dans les entreprises de + 11 salariés de droit privé
Longtemps présenté comme un modèle éducatif complémentaire et nécessaire, cet enseignement bénéficie d’un financement public important (cf. nos communiqués sur le financement des établissements privés sous contrat), tout en échappant largement aux obligations de transparence et de contrôle qui s’imposent aux établissements publics. Les gouvernements successifs, et en particulier sous le ministère de Jean-Michel Blanquer, ont largement soutenu et valorisé ce modèle, accentuant encore son développement et sa relative autonomie vis-à-vis de l’État. Pourtant, un rapport parlementaire datant du mois d’avril dernier, celui de Paul Vannier (LFI) et Christophe Weissbert (Renaissance), ainsi que des scandales médiatisés (comme ceux des établissements Stanislas, Betharram, Bergerac, Dax ou Saint-Michel en Haute-Savoie…), mettent en lumière les dérives inquiétantes qui prospèrent dans ces structures : gestion opaque des personnels, manque de contrôle des internats, pressions confessionnelles et dérives idéologiques.
Les récents scandales qui ont touché des établissements privés sous contrat ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Derrière une façade d’excellence, certains de ces établissements fonctionnent comme des sanctuaires idéologiques, avec une emprise sur les personnels, les élèves et les familles. Dans le même temps, le SGEC , véritable ministère bis de l’Éducation nationale, ne cesse d’accroître son influence. Cette structure, qui fédère les établissements catholiques, joue un rôle central dans la gestion des carrières et le recrutement des enseignant.es, en toute opacité et sans contrôle de l’État. Suite au rapport Vannier-Weissberg, E. Borne dit avoir « affecté 60 inspecteur.rices de plus au contrôle des établissements privés sous contrat (…) pour que 40% des établissements soient inspectés dans les deux ans ». Est-ce suffisant ? Le dernier CCMMEP a eu lieu en janvier 2025 et a supprimé de l’ordre du jour le point sur les « moyens » alors que pour l’enseignement public, les chiffres sont publiés. Le SGEC semble plus informé que les élu.es paritaires de cette commission.
Ces dérives, que certains politiques dénoncent aujourd’hui, sont pourtant le résultat d’une complaisance de longue date de la part de l’État, qui finance sans réellement encadrer, acceptant ainsi une remise en cause du principe de laïcité.
SGEC= Secrétariat Général de l’Enseignement Catholique
CCMMEP= comité consultatif ministériel des maitres de l’enseignement privé
Que fait-on pour demain ?
Depuis des années, le SUNDEP Solidaires alerte les rectorats de ces abus. Pourtant, malgré les preuves et les témoignages accablants, l’administration continue de fermer les yeux.
Au SUNDEP Solidaires, nous demandons une réforme nécessaire et urgente passant par :
- La suppression de la notion de « caractère propre » dans le Code de l’Éducation, pour empêcher toute dérive confessionnelle dans les établissements sous contrat : il est temps d’interdire la pratique du pré-accord et de l’accord collégial dans l’enseignement catholique, barrage et recrutement sélectif des maîtres avant et après obtention d’un concours national !
- Un contrôle strict du respect de la laïcité dans les établissements privés sous contrat : chasse aux célébrations religieuses sur temps de cours, aux temps de prière, aux journées des Assises, à l’enseignement du catéchisme inscrit dans l’emploi du temps au 1er degré !
- La gestion publique et transparente des carrières des enseignants : mutations, avancements et nominations doivent relever exclusivement de l’Éducation nationale. Les CAE et CIDE n’ont aucune légitimité et doivent donc disparaître.
- L’affectation et la gestion par les rectorats des chefs d’établissement privé sous contrat : fin des lettres de mission reçues des mains de l’évêque et obligation de passer le concours de personnel de direction de l’Éducation nationale, afin de garantir des pratiques conformes aux règles républicaines. Le management par la peur, le favoritisme, l’irresponsabilité face aux risques psychosociaux pour les agent.es publiques et les usagers : tout cela doit cesser !
Ces mesures sont indispensables pour mettre fin à l’opacité, aux passe-droits et aux dérives confessionnelles qui gangrènent aujourd’hui une partie de l’enseignement privé sous contrat. Nous refusons de laisser l’État se défausser de ses responsabilités. Les établissements privés sous contrat bénéficient d’un financement public ; ils doivent être soumis aux mêmes règles et aux mêmes exigences que les établissements publics.
Au SUNDEP Solidaires, nous continuerons à nous battre pour que la transparence, la laïcité et l’égalité de traitement des personnels deviennent enfin une réalité.