Dans le cadre des élections européennes Solidaires Finances Publiques adresse un courrier aux principales têtes de liste candidates aux élections européennes à l'exception de celles du Rassemblement National et de Reconquête.
À Paris le 17 mai 2024
Madame, Monsieur,
Solidaires Finances Publiques, première organisation syndicale à la Direction Générale des Finances Publiques, vous adresse ce courrier dans le cadre de la campagne électorale des élections européennes du 9 juin prochain.
Convaincu que la fiscalité doit être un outil de justice fiscale, sociale et environnementale, notre syndicat déplore l’absence d’un véritable débat public sur le sujet de la fiscalité.
Par ce courrier, nous souhaitons partager nos réflexions et être force de propositions.
L’Europe doit faire face à deux enjeux essentiels : mettre fin à la concurrence fiscale à laquelle se livrent les États en rééquilibrant les systèmes fiscaux et en luttant efficacement contre la fraude et l’évasion fiscales, qui pèsent lourdement sur les finances publiques des États membres et sur le budget de l’Union Européenne.
La concurrence fiscale s’observe par la mise en place d’une fiscalité du moins disant et se traduit par la baisse du taux nominal de l’impôt sur les sociétés dans tous les pays et la baisse de la fiscalité du patrimoine (suppression de l’ISF, allègement voire suppression des droits de successions…).
En revanche, la TVA, impôt indirect particulièrement injuste ne cesse d’augmenter.
En matière de fiscalité, notre syndicat appelle à la neutralisation de la concurrence fiscale et au rééquilibrage des systèmes fiscaux afin de renforcer les services publics et de réduire les inégalités fiscales et sociales. Dès 2005, notre organisation syndicale a publié sur ce sujet deux ouvrages : « Pour un serpent fiscal européen » et « Quelle Europe fiscale ? ».
Solidaires Finances Publiques prône une harmonisation fiscale européenne construite sur le principe du serpent fiscal européen.
Fondé sur le même principe de fonctionnement que le serpent monétaire européen, destiné à limiter les écarts entre les monnaies des pays, le serpent fiscal européen vise à limiter les écarts fiscaux entre les États.
En matière d’impôt sur les sociétés, sa mise en place nécessite une harmonisation des bases taxables et l’application d’un taux plancher. Pour Solidaires Finances Publiques, l’instauration d’un taux minimal de 15 % sur les bénéfices réalisés par les multinationales est une mesure insuffisante et perfectible. La faiblesse du taux retenu et son champ d’application restreint en font une mesure peu ambitieuse aux effets très limités. Par ailleurs, de trop nombreux dispositifs légaux et autres règles comptables et fiscales (crédit d’impôt, niches fiscales, retraitements fiscaux...) permettent aux multinationales d’échapper à une imposition juste.
En matière de TVA, impôt particulièrement injuste (proportionnel et indirect), une législation harmonisée au niveau européen est indispensable. La déclinaison du serpent fiscal européen permettrait d’instaurer 3 taux plafond : un taux plafond « normal » revu à la baisse, un taux plafond « réduit » et un taux zéro sur les produits de première nécessité. La mise en place de ces taux serait bénéfique en termes de justice fiscale et mettrait fin à la fraude de type caroussel.
Enfin, une réflexion sur la mise en place de véritables impôts européens doit être menée. Discutée au sein de l’Europe depuis 2011, la taxe sur les transactions financières, sans être la seule solution, pourrait néanmoins constituer une avancée majeure. Il est désormais temps que la France cesse de bloquer sa mise en place.
Par ailleurs, Solidaires Finances Publiques, sans prétendre à une quelconque exhaustivité, souhaite également attirer votre attention sur les sujets d’actualités suivants.
La nécessaire et rapide transposition en droit interne de la 6ème directive européenne anti-blanchiment afin de renforcer les moyens d’action des autorités publiques. Cette directive a pour objectif d’uniformiser la supervision européenne, d’octroyer davantage de pouvoirs aux cellules de renseignements financiers (Tracfin en France) pour détecter les cas de blanchiment et suspendre les transactions suspectes, et harmoniser le contenu et l’accès au Registres des Bénéficiaires effectifs (RBE). Par une décision de la Cour de justice de l’UE de novembre 2022, la publicité de ces registres a été remise en cause. Pour notre syndicat, cette mesure liée à la transparence de la propriété effective des sociétés et des trusts est essentielle et déterminante pour prévenir l’utilisation de sociétés-écrans dans les schémas de fraude et d’évasion fiscales. Elle permet également d’identifier les montages opaques dans les paradis fiscaux. Le Registre des Bénéficiaires Effectifs doit en conséquence demeurer accessible au plus grand nombre.
Par ailleurs, notre syndicat juge sévèrement la proposition de Bruno Le Maire dans son récent plan de simplification, de supprimer la peine d’emprisonnement de deux ans pour le remplissage erroné du RBE, pour la remplacer par des sanctions financières, bien moins dissuasives.
La lutte contre la fraude et l’évasion fiscales nécessite l’adoption de mesures réellement efficaces. Notre système fiscal présente des failles majeures qui permettent aux multinationales et autres groupes en intégration fiscale de déplacer artificiellement leurs bénéfices d’une filiale à l’autre pour échapper à l’impôt. La législation en matière de prix de transfert, notamment dans les domaines de la propriété intellectuelle ou du numérique, demeure insuffisante. Le dernier plan de lutte contre toutes les fraudes de mai 2023 est à cet égard bien décevant.
L’Office National Anti-Fraude (ONAF), créé en mars 2024 en remplacement du SEJF (Service d’Enquêtes Judiciaires des Finances), pour lutter contre les fraudes aux finances publiques est certes à saluer. Il est cependant à déplorer que la transformation de ce service en un Office, susceptible de travailler avec le Parquet financier européen, ne soit accompagnée de moyens suffisants.
En espérant que ce courrier aura retenu votre attention, nous vous prions de croire, Madame, Monsieur, en nos salutations respectueuses.