Par Elsa, Solidaires Paris
Pouvez-nous nous parler de votre collectif et de ses activités ?
Nous avons créé Queers Parlons Travail, à deux, en novembre 2022. L’idée principale était de créer des outils d’auto-défense collective et individuelle autour du travail, et de rendre plus centrale les réflexions du travail dans les milieux queers où nous étions. Passer par un collectif nous a permis de formaliser des choses que nous faisions déjà et d’en faire de nouvelles.
Concrètement ce que nous avons fait depuis novembre c’est : de la vulgarisation de droit du travail et d’articles scientifiques ou militants sur notre compte instagram (@QueersParlonsTravail); des projections débats; des ateliers d’auto-enquête sur les rapports/expériences queers au travail; des rencontres, notamment sur les formes d’organisation de travail alternatives queers. Durant le mouvement contre la réforme des retraites on a surtout fait des points d’information sur le droit de grève et tracté dans des lieux queers et LGBT, co-organisé des AG et des pink blocs au sein du cortège Solidaires. Notre prochain projet c’est de tenir des permanences “queers et travail” dans des lieux LGBTQ+ et de refaire des formations.
Pouvez-vous nous dire quelles sont les principales problématiques que les personnes LGBTI+ rencontrent dans leur quotidien de travailleuses et travailleurs?
Pour construire notre militantisme, on s’appuie sur les témoignages récoltés dans le cadre de QPT, notre connaissance intime de notre communauté mais aussi sur la thèse de sociologie conduite par l’un⋅e de nous. On ne peut pas tout dire ici mais ce qu’on peut mettre en avant c’est que toux les queers rencontré⋅es ont subi des violences au travail (harcèlement, violences sexuelles, homophobes, transphobes, racistes). Cela, couplé à l’habitude militante de s’organiser de manière autogestionnaire, en choisissant les buts et les moyens de notre travail communautaire (production de soins, de fêtes, d’art, d'événements politiques, etc) rend le monde du travail très difficile à vivre pour de nombreu⋅ses queers. Beaucoup disent fuir “le salariat” à cause de la subordination et des violences qu’iels y subissent. C’est une stratégie parmi d’autres, mais elle conduit les moins riches et diplômées d'entre nous à beaucoup de précarité. C’est pour ça qu’on pense que la solution, c’est de révolutionner le monde du travail pour le débarrasser des hiérarchies et des oppressions de classe, de race, de genre et de sexualité entre autres, pour ne plus être obligées de choisir entre un emploi violent ou vivoter dans les marges sans protection sociale.
Vous avez choisi de parler de travail hors d'une structure syndicale, pouvez-vous nous dire pourquoi ?
À QPT nous sommes toustes ou avons été⋅es syndiqué⋅es. On croit vraiment à l’intérêt de l’outil syndical. Alors, en effet, QPT n’est pas dans une structure syndicale mais on se revendique comme pro-syndicaliste : en tant que queers, nous avons besoin d’espaces pour parler du travail et surtout pour nous organiser. Les queers aussi, comme toustes les travailleureuses, avons besoin d’organisations syndicales. C’est pour ça qu’on cherche à “parler travail” à nos camarades.
Les queers, même très militant⋅es, sont éloigné⋅es des syndicats pour plein de raisons. Il s’agissait pas tant de faire quelque chose en dehors d’un syndicat que d’amener des outils et des questions syndicales dans des espaces et auprès de personnes qui n’étaient pas syndiquées mais en auraient besoin.
Et en même temps, on pense que le syndicalisme a des choses à apprendre et à comprendre de nos expériences et de nos luttes queers. Déjà parce qu’en tant que personnes LGTBQIA+ nous avons un rapport au travail et à l’emploi assez spécifique. Et ensuite, parce qu’il nous semble que la perspective queer a quelque chose à apporter aux réflexions sur le travail et sur l’action syndicale.
Le “queer” ce n’est pas simplement une variable supplémentaire à prendre en compte dans les analyses, dans les discours et dans les pratiques syndicales. Il s’agit d’un certain rapport au monde et donc d’un certain rapport au travail qui permet de questionner le modèle actuel (l’hétérocisnormativité, la discipline productiviste, l’injonction à la reproduction, etc) et d’envisager des pistes d’alternatives (work in progress).
De ce point de vue, la perspective queer se rapproche du féminisme et de l’antiracisme pour rappeler que nos luttes ne visent pas à “gommer des différences” mais bien plutôt à transformer la société par la construction d’un autre rapport de force.
Toutes ces réflexions nous amènent à nous demander ce que serait un “syndicalisme queer”. On a déjà quelques pistes pour y répondre mais on se laisse encore le temps car, comme souvent, c’est par l’action qu’on trouvera des solutions à nos questionnements.